Isolement
des patients porteurs de bactéries multi-résistantes en réanimation
I.
Introduction
II.
De la colonisation à l'infection
III.
Modes de transmission
IV.
Mesures d'isolement
V.
Contraintes de l'isolement
VI.
Conclusion
I. Introduction
Le niveau de résistance aux
antibiotiques est très élevé en France et un programme actif est en place
comportant deux actions indispensables et complémentaires : un bon usage des
antibiotiques et la limitation de la transmission "croisée" des
bactéries multirésistantes (BMR). C'est cette deuxième action que nous
développons ici.
1. Isolement
a. Objectif
Limiter la transmission des
germes à toute autre personne (patients, soignants).
L’isolement des malades
porteurs de BMR est un isolement de type septique comportant des mesures
géographiques et des mesures techniques.
b. Principes
- L’alerte :
Est donnée par l’infirmière
hygiéniste en relation avec le laboratoire de microbiologie ou directement par
la bactériologie. Elle doit être immédiate.
- La signalisation :
Un sigle distinctif est
apposé sur le dossier médical, infirmier et sur la porte de la chambre.
L’identification du germe,
sa date d’apparition et le site sont apposés sur la porte de la chambre et sur
la feuille de surveillance.
- Le type d’isolement
:
Il dépend du type de germe
et du site.
2. Germes en cause
Lorsqu’il y a une
colonisation et/ou une infection à BMR suspectée ou confirmée, le patient est
directement placé en isolement septique.
Les BMR les plus fréquemment
rencontrées sont :
- Staphylocoques aureus
résistant à la méthicilline
- Entérobactéries
multirésistantes productrices ou non de bétalactamases à spectre élargi (BLSE)
comme les Klebsielles, les Enterobacter aerogenes…
- Entérobactéries porteuses
d'une céphalosporinase inductible et "déréprimée"
- Pseudomonas aeruginosa
ticarcilline résistant.
II. De la colonisation à
l’infection
- La colonisation
c’est le fait que certains microorganismes résident de façon naturelle ou
acquise en symbiose avec des tissus ou des éléments naturels, sans entraîner
d'infection.
- L’infection est la
multiplication microbienne au sein de tissus et/ou liquides biologiques avec
l’apparition de signes locaux ou généraux de réaction de défense.
Le passage de la
colonisation à l’infection est en réanimation fortement favorisé par une flore
hospitalière abondante et virulente couplée à des patients hautement
"techniqués" multipliant les portes d’entrées infectieuses.
La flore hospitalière est le
plus souvent résistante suite à l’utilisation fréquente et répétée
d’antibiotiques et fait émerger de nouvelles bactéries appelées Bactéries multirésistantes
(BMR).
Dans l’unité, des
prélèvements bactériologiques sont effectués de manière systématique à l’entrée
du patient puis une fois par semaine sur des boîtes spéciales. Ceci permet de
mettre en évidence la présence ou non de bactéries résistantes.
III. Mode de transmission
1. Transmission
manuportée
La main est
naturellement porteuse de germes, le milieu hospitalier et le contact permanent
de celle-ci avec des zones infectées augmentent encore la capacité de transport
de germes. Il faut donc diminuer le nombre de germes fixés sur la main pour
diminuer le risque de contamination par un lavage fréquent avant et après
chaque soin et dès qu’il y a contact avec une surface contaminée inerte ou
vivante.
L’efficacité du lavage des
mains dans les services a été largement prouvée par plusieurs études dont celle
de Conly et ses collaborateurs dès 1989 dans "Infection control and
hospital epidemiology".
2. Transmission
matérioportée
Le meilleur moyen de limiter
cette contamination est de favoriser l’utilisation de matériel à usage unique.
L’ensemble du matériel
n’étant pas à usage unique, la prévention réside dans la décontamination et la
désinfection grâce à des produits spécifiques et avec des propriétés viruscide,
fongicide et bactéricide.
Des protocoles de nettoyage
des surfaces et de décontamination du matériel doivent être donc mis en place.
3. Transmission aéroportée
Il existe deux types
de contamination :
a. Gouttelettes de Flügge
Il faut rentrer en contact
avec ces gouttelettes pour risquer d’être contaminé par le germe.
b. Par la présence du
germe dans l’air
Le risque de la
transmission aéroportée est la contamination de toutes personnes en contact
avec le germe rejeté dans l’air ambiant par un patient infecté toussant et
crachant ou même lors des soins tels que les aspirations trachéales.
Il est donc nécessaire de
mettre une barrière entre le patient infecté et les autres personnes par la
mise en pièce close, le port de masque et le recyclage de l’air ambiant.
4. Transmission par
l'eau en particulier après "aérosolisation".
Ex. Légionnelloses.
5. Rôle des surfaces
vivantes (peau) ou inanimées (environnement)
Le rôle de la
colonisation cutanée et des surfaces inertes n'est pas identique pour tous les
germes. Elles est importante pour les staphylocoques et les entérocoques, et à
un moindre degré pour les acinetobacter. Elle est secondaire pour les
entérobactéries, et les pseudomonas. Ceci a des conséquences sur les
"stratégies" d'isolement à mettre en place.
IV. Mesures d’isolement
1. Dans le service
Il existe deux niveaux
de précautions :
- Les précautions
"standard" à appliquer quel que soit le statut infectieux du patient.
- Les précautions particulières
à appliquer pour prévenir la transmission de certaines infections.
a. Les précautions
"standard"
Quel que soit le
statut infectieux du patient, des précautions d’hygiène doivent être appliquées
afin d’assurer une protection systématique des patients et des personnels
vis-à-vis des risques infectieux.
Le lavage des mains
hygiénique est indispensable avant et après tout contact avec le patient
même en cas d’utilisation de gants.
L’utilisation de solutions
hydroalcooliques est autorisée pour remplacer le lavage des mains.
L’isolement en chambre
seule ou un isolement fonctionnel des malades de réanimation est à favoriser
avec des soins et du matériel individualisés.
Le port de gants stériles ou
non pour tous les soins en contact avec des liquides biologiques, muqueuses,
linge souillé ou pour des gestes invasifs est nécessaire.
Le port du masque est
préconisé pour tous les gestes nécessitant une asepsie chirurgicale, en
veillant à respecter la durée d’efficacité.
Le port de surblouse
ou de tablier est préconisé pour réaliser les soins exposant à des projections
de liquides biologiques.
Toute tenue souillée
doit être changée.
Un nettoyage et
désinfection avec désinfectant approprié des surfaces et matériel est nécessaire.
Le respect de ces
précautions standards est un élément fondamental.
b. Les précautions
particulières
Dans le cas de patient
en isolement septique, des mesures complémentaires sont mises en place de
manière à prévenir la transmission de bactéries résistantes. Elles ne se
conçoivent qu'additionnées à des précautions standard de qualité.
Dès la mise en évidence
d’une bactérie multirésistante, un sigle distinctif est apposé sur le dossier
médical et infirmier ainsi que sur la porte de la chambre permettant la mise en
place et le respect de l’isolement.
Le lavage des mains
effectué à l’entrée et à la sortie de la chambre, avant et après chaque soins
est antiseptique. Beaucoup pensent que ceci peut être réalisé par des solutés
hydroalcooliques.
Isolement géographique
Les gants doivent être
portés pour tout contact avec le patient ou avec le matériel contaminé (drap,
lit,...)
«Un patient = une
paire de gants ; un geste = une paire de gants»
Le port du tablier est
obligatoire dès l’entrée dans la chambre et sera jeté avant la sortie
Le nettoyage des
surfaces et de l’environnement se fait au moins une fois par équipe à l’aide de
lingettes et de spray désinfectants.
Les chambres infectées
sont les dernières nettoyées quotidiennement
Le matériel entré dans
la chambre n’en sort qu’après une décontamination.
Les soins nécessitant
du matériel réutilisable comme le fibroscope doivent être programmés en
dernier : décontamination (glutaraldéhyde)
Traitement du linge et
des déchets
2. Par rapport aux
autres services
La présence de
bactéries résistantes est signifiée sur les bons de demande de scanner, pour
tous les gestes invasifs au lit du patient effectués par des intervenants
extérieurs.
Lors du transfert d’un
patient, le personnel est muni d'un tablier et de gants. Le lavage de mains
reste de rigueur.
Les informations
consignées par écrit sont rappelées par oral aux intervenants, de même que les
mesures à respecter.
3. Procédures
d’isolement particulières
a. Isolement des
staphylocoques dorés résistants à la méthicilline (SDMR) et des staphylocoques
dorés (aureus) intermédiaires aux glycopeptiques (GISA)
Mise en place d’une
toilette antiseptique par 24 heures pour réduire le portage cutané.
Utilisation d’un
antibiotique antibactérien préconisé pour les infections des voies nasales par
le staphylocoque (application 4 fois par jour d’une pommade (Mupirocine) au
niveau des narines).
Ces mesures sont appliquées
parallèlement à un isolement septique.
b. Isolement de
l’entérocoque résistant à la vancomycine
L’entérocoque
résistant à la vancomycine (VRE) est encore rarement retrouvé en France. Il est
responsable d’épidémies aux États-Unis et au Royaume Unis depuis 1992. Il
s’agit d’un germe résistant à de nombreux antibiotiques et en particulier à la
vancomycine et à la teicoplanine.
Le traitement antibiotique
de ce germe devenant difficile, des mesures d’isolement strictes sont
nécessaires afin d’éviter sa propagation.
L’efficacité des différentes
mesures n’étant pas encore bien connue, un isolement "drastique" a
été instauré, en concertation avec le laboratoire de microbiologie, le CLIN,
l'unité d'hygiène dès l’apparition du premier cas survenu dans notre unité (en
août 2001).
- Mise en
place de l’isolement (les 72 premières heures)
- Isolement géographique
- Une infirmière dédiée à ce
patient, ne sortant pas de la chambre
- A la sortie de la chambre,
douche bétadinée
- Regroupement des soins
- Lavage des mains antiseptique
à l’entrée et à la sortie de la chambre, avant et après chaque soin.
Utilisation des solutions hydroalcooliques, blouse + tablier, gants à usage
unique, chapeau, masque, surchaussures (pour la toilette et les pansements)
- Matériel individualisé
- Prévision du matériel
nécessaire aux soins (pansement,...), pas de stockage des consommables, le
surstock étant détruit
- Protection de l’ensemble
du matériel par des housses (appareil de radiologie,...)
- La bactérie vivant sur les
surfaces, un nettoyage de celles-ci toutes les 3 heures est réalisé, sans
oublier les poignées de portes 4 à 6 fois par jour à l’aide de lingettes
spécifiques imprégnées de désinfectant.
- Les déchets sont isolés
dans un conditionnement étanche
- Limitation des allées et
venues dans la chambre
- Les visites sont limitées
à la famille proche et doivent respecter
le port de la surblouse, le lavage des mains et ne doivent rien toucher
dans la chambre.
- Évolution des mesures établies (après 72 heures)
- Arrêt des douches
bétadinées
- Diminution de la fréquence
du nettoyage de l’environnement à toutes les 6 heures
L’ensemble de ces
procédures a été appliqué par les équipes infirmières et médicales de jour
comme de nuit. A ce jour aucune présence de ce germe n’a été trouvée sur les
prélèvements de l’environnement du service et aucune transmission du VRE n’a
été constatée chez les autres patients.
V. Contraintes de
l’isolement
1. Contraintes
organisationnelles
a. Les locaux
L’hospitalisation en
chambre individuelle, porte fermée en permanence, constitue le standard de
l’isolement géographique.
La chambre doit être
vaste pour pouvoir disposer de tout le matériel nécessaire aux soins du
patient.
Elle doit être dotée de
système de communication avec l’extérieur facilitant la surveillance et les
soins (interphone, baie vitrée, pancarte signalant l’isolement et le germe en
cause).
La partie
"administrative" des soins (dossiers médicaux, pancartes infirmières
et médicales) doit être à l'extérieur de la chambre.
b. Le matériel
Il est indispensable
de disposer de savon , essuies-mains à usage unique, petits flacons
d’antiseptiques, utilisation de matériel à usage unique chaque fois que
possible, tabliers, gants, masque, entraînant un coût non négligeable pour le
service et représentant un effort budgétaire pour l’hôpital.
Le lavage des mains
fréquent avec un savon antiseptique entraîne une irritation cutanée et une non
application du temps réglementaire de lavage. C’est pourquoi, l’usage de
solutions hydroalcooliques a été vivement recommandée. Il est prouvé que son
efficacité est optimale si celui-ci est bien utilisé.
La gestion des stocks
doit se faire en quantité suffisante en évitant le gaspillage.
Une sensibilisation
auprès de l’équipe doit être faite afin de lutter contre une utilisation
abusive du matériel.
c. Le personnel
L’infirmière se doit
de respecter les mesures prises lors de l’isolement, imposant des règles
d’hygiène rigoureuses et bien comprises.
L’observance du lavage
des mains est capital afin de lutter
contre le risque de transmissions manuportées. Rappelons que le port de gants à
usage unique ne dispense pas du lavage de mains.
Les soins infirmiers
doivent être planifiés afin de ne pas perturber l’activité du service et lutter
contre les transmissions croisées.
Le personnel est
sectorisé pour prendre en charge les patients porteurs de BMR
d. Les familles
Notre livret d’accueil
récemment mis à jour, explique clairement aux familles les contraintes et les
mesures appliquées auprès de leur proche.
e. Le patient
Toutes les contraintes
organisationnelles citées ci-dessus ont une répercussion directe sur l’état
physique et psychologique du patient. Celui-ci peut en effet se sentir mis à
l’écart. Cela peut majorer son anxiété avec un sentiment réel d’isolement.
L’équipe toute entière doit
à la fois l’informer et le soutenir, le dialogue doit rester maintenu entre
soignants et le patient ainsi que les familles.
2. Isolement psychologique
La réalité d’un
isolement recouvre pourtant une complexité contradictoire : on isole le
sujet humain pour son bien par l’isolement thérapeutique, mais cela peut lui
être néfaste, il peut s’isoler lui même de façon anormale : c’est le champ
psychopathologique.
En résumé, l’isolement
apparaît comme une action sur un objet humain soumis et ayant pour effet une
coupure physique, sociale, et psychique.
Notre équipe
consciente de ce mal être a mis en place un groupe de travail sur l’accueil des
familles visant à élargir le temps des visites et une prise en charge
individualisée pour le patient isolé.
Nous constatons que
les familles appliquent les recommandations se rapportant à l’isolement de leur
proche, conscientes des risques encourus et des conséquences individuelles et
collectives.
Une application
satisfaisante ne peut se faire sans une information et la compréhension des soignants mais aussi
des familles.
VI. Conclusion
La lutte contre les
infections nosocomiales demande un travail en équipe permanent où chacun a une
place très importante. Si une personne ne respecte pas les mesures, en
particulier pendant les transports, ceci peut compromettre les efforts de tous.
La "solidité" et la cohésion de l'équipe est aussi un élément
probablement déterminant. Ces techniques représentent une charge de travail
importante et génèrent des dépenses conséquentes. Une évaluation de type
coût-bénéfice serait intéressante.